Naplouse: un carême au rythme de l’opération «Mur de fer»
La guerre à Gaza a repris et la Cisjordanie occupée vit, depuis janvier, au rythme du ballet des tanks et bulldozers israéliens mobilisés dans le cadre de l’opération «Mur de fer». Nichée dans le creux des montagnes, la vieille ville labyrinthique de Naplouse, parsemée de minarets et d’effluves de pâtisseries, est propice à la rêverie. Mais la flânerie est vite rattrapée par une réalité peu onirique.
Dans cette cité fondée par les Cananéens, les visages de guerriers d’un genre nouveau parsèment les murs de la ville. Les posters rendant hommage à ceux que l’on appelle ici les « martyrs » sont omniprésents. Armes lourdes à la main et regards souriants, ces enfants de Naplouse, issus de groupes armés palestiniens, se sont attirés, depuis des années, le feu de l’armée israélienne bien décidée à «éradiquer», selon ses propres termes, les groupes armés de Cisjordanie occupée.
Alors que les raids militaires se sont multipliés dans la ville et qu’un drone israélien n’en finit plus de tournoyer dans le ciel, l’église Saint-Jean le baptiste, de rite grec-melkite (catholiques de rite byzantin ayant rejoint Rome en 1724), fait figure de havre de paix. En ce deuxième dimanche de Carême, les fidèles arrivent par petites grappes. Taoufik Hremat, septuagénaire, veut continuer de croire que sa ville saura résister aux torrents de haine qui semblent couver: «Naplouse est la seule ville de Cisjordanie où il y a à la fois des chrétiens, des musulmans et des samaritains (branche ancienne du judaïsme qui compte moins d’un millier de représentants, qui ne se considèrent pas comme juifs, NDLR). Notre coexistence se passe bien». Les premiers chants, en arabe, qui s’échappent du lieu de culte où l’office est célébré par le père Issa Abou Saada ont un pouvoir hypnotique. Ils rappellent soudain que la grande aventure du christianisme a débuté ici, sur ces terres où — à défaut du miel — coule désormais le sang.
Le défi de l’espérance
Malgré le contexte, le père Issa Abou Saada tente de relever le défi de l’espérance. Formé à Rome, il est un défenseur assumé de la cause palestinienne et cache mal son agacement face aux tensions grandissantes avec l’armée israélienne. Lui qui partage son temps entre Ramallah et Naplouse, que 55 km séparent, vit au quotidien les humiliations imposées aux Palestiniens aux checkpoints : « Dernièrement, j’ai quitté Naplouse un lundi à 13h, en direction de Ramallah. J’y suis arrivé à 4h du matin le mardi. J’ai passé 15 heures au checkpoint. Ça a été très difficile. Il y avait des familles, des malades, des gens qui avaient besoin de boire. C’est une façon qu’ont les Israéliens de faire pression sur nous pour nous pousser à quitter notre pays et à nous détacher de la cause palestinienne ».
Lui restera, mais quid des fidèles chrétiens, dont beaucoup ont perdu leur emploi lié au tourisme — à Bethléem et Jérusalem notamment — du fait du contexte ? Le père Issa Abou Saada craint que les chrétiens palestiniens finissent par connaître le même sort que ceux d’Irak. « Il faut faire front », dit-il. Début mars, lorsque la mosquée Al Nasr de Naplouse a été incendiée à la suite d’un raid de l’armée israélienne, les chrétiens locaux se sont immédiatement rendus sur place pour faire part de leur solidarité. Par esprit de fraternité, soutient le père Issa Abou Saada, mais aussi parce qu’il est convaincu que « ces violences peuvent très bien être exercées contre une église aussi. Demain, ce sera peut-être notre tour ».
Naplouse abrite le tombeau présumé du prophète Joseph, commun aux trois monothéismes, sur lequel des colons israéliens viennent de plus en plus souvent se recueillir tout en ne cachant rien de leur appétit immobilier pour la région. Depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, dont une des premières mesures a consisté à révoquer les sanctions à leur égard, les colons se sentent pousser des ailes. Il y a quelques semaines, leur chef de file, Bezalel Smotrich, ministre des finances israélien, avait promis de réserver à Naplouse le même sort qu’à Jabalia, assiégée, affamée et bombardée, à Gaza.
Alors que les lendemains ne cessent de déchanter dans cette région du monde, on demande au père Issa Abou Saada comment il arrive encore à trouver le moyen de cultiver malgré tout l’espérance. Dans un sourire entendu, il répond: «grâce à la prière».